Vie de Grange

 

"Un vent doux, frais, caresse les herbes drues, sèches, piquantes, de la garrigue. Il flatte les feuilles du micocoulier qui chantent sous l'hommage, puis s'en va jouer sur les pierres des murs de la vieille Grange...

 

Silence tranquille.

 

Le parquet posé là, dans le pré, brille presque sous le soleil du matin. Il attend, patient, les pas qui frotteront son dos plus tard. La scène, bardée d'atours, est prête pour la parade. La veille au soir, la lune a regardé les couturiers apporter les dernières retouches à sa robe de lumières. La Grange l'admire, de loin.

 

 

 

Peu à peu, la vie humaine s'empare de l'endroit. Petits pieds actifs, crissant sur le gravier. Mains efficaces, aux ordres du besoin. De concert ils chuchotent : « Bientôt, bientôt, ce soir... ».

 

Empressement tranquille.

 

Les scènes accueillent les premiers artistes venus offrir leurs mondes. La musique ricoche sur les pierres de la Grange. Boum, Ciac, éclats de Quarks, bouts de Ficelle, Sons libres dans l'air, harangue d'un Monsieur Klof, accents d'ailleurs d'un doux Bazar où Duo de femmes, Trio de belges, et quintette de musiciens plutôt Zeïn étalent leurs voyages. La Grange sourit.

 

 

 

Les premiers véhicules, petites citadines ou gros tacots des bois, arrivent sur le parking. Les cailloux de la garrigue crient de joie. Les fourmis de la Grange se rencontrent, s'activent, s'affolent.

 

Affolement tranquille.

 

Il fait chaud, maintenant. Le vent s'est fait discret, parti en vadrouille avec les nuages. Seuls nous restent le soleil et ses suivantes les cigales. Sur le parking poussent des champignons de couleurs, maisons d'un soir ou deux des festivaliers impatients. La Grange les compte du doigt.

 

 

 

Le soleil a poursuivi sa course et cligne des yeux derrière les arbres. Une lumière dorée nimbe l'endroit, embrasse les visages, rebondit sur les tables pastel. Tout est prêt, enfin. Ils peuvent arriver, tous. La Grange piaffe.

Tranquillement.

Les regards, de l'entrée, guettent l'arrivée des convois amis. Les derrières prennent possession de tous les espaces vacants. La Grange parle de 1000 et une voix. Et elle rit.

 

 

 

Ca y est, on y est. Les arbres ont enfilé leurs costumes de fête, bleus, violets, roses ou verts. Les sons décollent, emplissent le ciel étoilé, si étoilé. Chaque coin de la Grange est occupé par des mots, des rires, des bruits de bouche ou de verres. La Grange vit, de bien des façons.

 

Brouhaha tranquille.

 

Le temps regarde la vie de la Grange passer. Ils sont amis depuis si longtemps... Le temps veille sur chaque chose d'un air entendu. Il est là, au-dessus de tous, il danse et passe entre les cailloux. Entre les vieux cailloux de la Grange.

 

 

 

Les étoiles ont laissé la place aux nuages de monsieur l'Automne venu relayer son compère, l'Eté. Ils embrassent le ciel de leur teint d'argent et protègent la Grange d'un froid trop intense.

 

Ils écoutent, tranquilles.

 

La vie se déroule, là en bas. La Grange est une fourmilière joyeuse, un peu magique. Le parquet grince de plaisir et le gravier n'en peut plus d'aise. La Grange se marre, forcément, les yeux demi-fermés.

 

 

 

L'Automne est un farceur... Pour mieux se présenter, il laisse tomber sur la Grange une pluie franche et fraîche. Qu'à cela ne tienne. La Grange danse sous la pluie.

 

Parquet mouillé mais tranquille.

 

Le bal était formidable, il devient magique. Bout de ficelle au chaud dans l'air de fin d'été humide. La Grange rit aux éclats, s'esclaffe et offre son beau visage à la pluie invitée. Celle-ci s'amuse, mais fatigue vite. Elle s'en va faire un somme et laisse les souffles unis dessiner la brume.

 

 

 

La Grange est épuisée. Doucement elle s'éveille, s'étire, puis resserre ses bras sous la morsure froide du vent revenu. L'Eté a tiré sa révérence la nuit passée. Monsieur l'Automne, un peu arrogant, fait valoir ses droits.

 

Succession tranquille.

 

La Grange soupire -c'est l'heure de la sieste. La scène est nue et tremblote sous la fraîcheur nouvelle. Le parquet garde à grand peine le dos droit sous les pieds infatigables des derniers danseurs...

 

 

 

La Grange est vide. Demeurent quelques joyeux et leur envie de ne pas se quitter. La Grange rit encore, d'une voix éraillée. Le soleil vient saluer ce petit monde et dépose dans leurs cœurs une dernière petite dose de magie.

 

Chaleur tranquille.

 

La nuit tombe, les rires s'essoufflent, les paupières peinent sous le poids des dernières trop longues journées. La Grange s'endort, éreintée mais béate.

 

 

 

Dernier soleil, pâle de fatigue. La Grange somnole et courbe la tête. Elle est heureuse, bien sûr, mais les derniers sons de voix sont partis dans le vent. Une forme, là, est assise à une table. Elle regarde le matin.

 

Ce matin si tranquille.

 

Son cœur est heureux mais ses yeux piquent un peu. A cause du vent, sûrement. Ou de tous les nouveaux absents. Elle guette de l'oreille le son de voitures flattant le sol du parking, le murmure des pieds sur le dos du parquet. Le rire des notes échappées des violons. La Grange la regarde.

 

 

 

La forme a disparu et les mouches se disputent la place au soleil. Les feuilles du micocoulier commèrent sous le vent. La Grange est sereine.

 

Respiration tranquille.

 

Un dernier chant s'élève : celui du portail de la Grange qui referme ses bras. Une voiture s'éloigne, la Grange se tait.

 

 

 

Le Week-End est parti.

 

Et reviendra."

 

Septembre 2013

 

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